Courrier à Marie Claire

Ce courrier avait été envoyé au magazine Marie-Claire après la parution d’un article à propos du machisme dans la médecine, où le cas de l’endométriose avait bonne place. La journaliste nous avait répondu assez rapidement en nous disant que le sujet l’avait interpellé et qu’elle espérait pouvoir mener plus loin son enquête… 

Chère Rédaction, chère Elisabeth Alexandre,

J’ai lu avec grande attention votre article posant la question du sexisme de la médecine (numéro de mai), et notamment la partie concernant l’endométriose.

Et je veux vous remercier, et même me prosterner devant vous ! Pour la première fois depuis… toujours en fait ( !) je lis un article sur le sujet sans lever les yeux au ciel devant la banalité et l’hypocrisie des faits énoncés. Et déjà ça, en soi, ça aura été exceptionnel. Par exemple, le simple fait de ne pas lire « maladie bénigne » mais « maladie pratiquement incurable » est une victoire considérable à nos yeux d’endogirls.

Mais qu’en plus vous ayiez le courage de dénoncer la misogynie avec laquelle nous sommes traitées, les taboos d’un autre temps, le manque de respect et de considération dont nous sommes victimes, le fait que cette maladie fout réellement des vies en l’air !… Alors là, c’est carrément trop beau pour y croire !!!

Je suis la fondatrice d’un mouvement intitulé « Lilli H. contre lendométriose » dont le but est justement de rassembler et fédérer les femmes souffrant d’endométriose et leur entourage autour d’un même projet, afin de dénoncer l’injustice du sort qui est réservé à ces malades et que vous décrivez si bien dans votre article : injustice dans leur prise en charge, due au manque de considération par le corps médical, injustice face à l’image que le public a de nous, parfois au sein même de notre entourage, cette réputation de douillettes , de psycho , de feignasses, limite d’hypocondriaques. Et injustice dans la reconnaissance de cette maladie : elle ne fait pas partie des fameuses maladies listées de la CPAM pour avoir droit automatiquement à une prise en charge à 100% pour Affection Longue Durée (la fameuse ALD), elle ne donne pas droit, ou rarement et au prix d’un combat acharné, et de toutes façons pour peu de temps, à l’invalidité, ni à l’allocation handicapé adulte, et quelque fois seulement à la reconnaissance de travailleur handicapé.

Pourtant, cette maladie fait partie de nous, on sait qu’elle restera à jamais dans notre corps. En France, on ne parle pas de guérison, mais de rémission à plus ou moins long terme. N’est-ce pas suffisant pour que la longue durée soit reconnue ?

Pourtant les femmes atteintes, même légèrement, sont obligées de s’absenter de leur lieu de travail plusieurs jours par mois, chaque mois, au moment de leurs règles, parce que le simple fait de se lever relève de l’exploit herculéen tant les douleurs sont violentes et les affaiblissent au point de perdre connaissance, et parce que bien souvent leurs pertes de sang sont si abondantes (d’ailleurs, elles sont dites « hémorragiques ») qu’il est impossible d’envisager de s’éloigner des toilettes ou d’une salle de bain de plus de trois mètres. N’est-ce pas suffisant pour que le statut de travailleur handicapé soit reconnu ?

Pourtant nous souffrons : en position assise prolongée, en position debout, en marchant, en portant de petits poids, et même en restant simplement allongées dans nos lits ! Et que dire des médicaments que nous prenons pour supporter les douleurs que nous vivons au mieux régulièrement, au pire quotidiennement ? Nous sommes obligées de monter rapidement dans l’échelle des antidouleurs, de prendre de la codéine, du tramadol, et des dérivés morphiniques quand ce n’est pas de la morphine elle-même ! Sans oublier que ces médicaments sont au minimum de niveau II, ce qui signifie que « la prise de ces médicaments peut remettre en cause la conduite et demande l’avis d’un professionnel de santé ». Malgré cela, combien sommes-nous à les absorber puis à prendre la route, faute de choix pour nous rendre à notre travail pour éviter de le perdre ? N’est-ce pas suffisant pour être reconnues comme invalides ou au minimum handicapées ?

Par le biais de ce mouvement, Lilli H contre lendométriose, je suis en contact avec de nombreuses malades, et je recueille un grand nombre de témoignages, tous plus émouvants les uns que les autres (consultables sur le site du mouvement).

Les histoires sont parfois tristement banales, parfois, souvent, terribles. Combien ont frôlé la mort, ou l’ont même trouvée, par manque de considération de leurs douleurs et de leur état par le corps médical même ? Combien pensent à mettre fin à leurs jours pour ne plus avoir à supporter la douleur, l’incompréhension, la suspicion ? Combien sont passées à l’acte sans que personne jamais ne le comprenne, ou n’en parle ? Combien perdent travail, ami(e)s, maris et se retrouvent dans l’isolement social le plus complet ? Combien passent dans les mâchoires carnassières de l’AMP et en ressortent le cœur, le corps et parfois le couple brisés ?

Et que dire de celles qui enfin et miraculeusement deviennent mères, après tant de sacrifices, de rêves, d’espoirs brisés, de combats acharnés, et qui se retrouvent mères-célibataires, leur couple n’ayant pas résisté à la lourdeur quotidienne de la maladie et au parcours du combattant de l’AMP ? Celles-ci doivent alors assumer, en plus de tout le reste, un rôle bien lourd, celui de mère célibataire (que vous connaissez par cœur) ayant une lourde pathologie.

Impossible pour elles de rester couchées pour souffrir le moins possible, de prendre le risque de perdre leur emploi à cause d’arrêts maladie, de prendre des médicaments qui les soulagent mais les endorment, parce qu’elles ont l’être le plus précieux au monde sur lequel elles doivent veiller, avant tout, plus que tout, jour et nuit…

Ces enfants sont leur plus grande force, et leur plus grande faiblesse : que deviennent-ils quand leur maman doit être hospitalisée ? Comment grandissent-ils et se construisent-ils avec une mère toujours souffrante, toujours fatiguée, et pour laquelle les médecins ne font rien, par désintérêt ou ignorance ? Ces femmes ont-elles une reconnaissance supplémentaire ? Une aide supplémentaire ? Vous connaissez malheureusement la réponse.

Tous ces témoignages qui me sont confiés, même les plus simples, ont en commun la détresse, le désespoir, l’incompréhension, la colère et le ras le bol absolu d’avoir à supporter des traitements lourds et inefficaces, des chirurgies à répétitions souvent inutiles et mutilantes et en plus d’avoir à se battre en permanence pour tout : prouver qu’on souffre (!!!) et pas qu’un peu (à tel point que souvent les contractions des grossesses et de l’accouchement sont étonnamment supportables !), prouver qu’on ne ment pas, résister à l’envie de se shooter aux médicaments très forts pour alléger quelques heures sa souffrance, pour ne pas hurler ou agresser les gens qui nous assènent des méchancetés sans nom et les administrations qui nous refusent les prises en charges, les assurances pour les crédits, ou tout simplement les indemnités journalières qui nous permettent de vivre et de nous soigner.

Ajoutez à cela le spectre des traitements hormonaux qui, non contents de nous transformer physiquement (prise de poids importante, gonflements…) et psychologiquement (dépressions, sautes d’humeur et immanquable culpabilité…), nous infligent en plus des problèmes de santé supplémentaires, comme l’obésité et ses dégâts sur l’organisme, les dérèglements hormonaux, la fibromyalgie, l’incontinence urinaire et parfois fécale, des problèmes de vésicule, et plus tard quoi ? Des problèmes cardiaques ? Respiratoires ? Un cancer ? La liste est terriblement longue, et le blog Pharmacritique que vous avez cité (ou l’Association Victime Enantone) explique tout cela parfaitement…

Mais le pire dans tout ça, c’est que ces traitements, prescrits à tour de bras, et les chirurgies incomplètes sont non seulement dangereux et inefficaces, mais surtout les complices idéaux de l’endométriose, qui attend, sagement tapie, de pouvoir revenir, encore plus forte, et plus vicieuse.

Et pendant ce temps, le congrès mondial sur l’endométriose, réunissant les plus grands pontes en gynécologie, se permet de conclure que «les recherches futures s’orienteront vers les traitements médicamenteux » et « qu’il vaut mieux pas de chirurgie qu’une chirurgie mal faite »…

J’ai moi-même une endométriose lourde depuis 13 ans… Autant vous dire que j’ai vu et entendu des choses que je pensais impossibles. J’ai bien sûr vu certaines de mes amies me tourner le dos, j’ai dû me battre pour que les médecins me croient et acceptent que leurs traitements médicamenteux étaient inefficaces, j’ai subi des opérations à répétitions avec des rechutes systématiques dans les mois suivants, j’ai fait de la dépression, je me suis affamée pour tenter de résister aux effets secondaires des traitements hormonaux, j’ai alors immanquablement connu des phases de boulimie et j’ai accumulé des dizaines et des dizaines de kilos en trop, puis encaissé les conséquences d’une telle prise de poids sur mon psychisme, ma vie amoureuse, ma confiance en moi, ma vie sociale… J’ai supporté les sarcasmes de pseudos copains, de mes collègues de travail et de ma hiérarchie, du corps médical, du personnel des administrations, j’ai entendu des phrases d’une monstruosité absolue prononcées par des médecins, parfois les plus renommés… J’ai tant souffert physiquement et moralement en serrant les dents, que j’en ai des séquelles physiques aux dents, à la mâchoire, aux cervicales et depuis peu, je dois vivre avec une fibromyalgie, héritage des prescriptions abusives d’analogues à la GnRH  (type Enantone ou Decapeptyl), des problèmes à l’estomac et aux intestins, et une accoutumance au tramadol telle que je dois avoir ma petite dose quotidienne, comme une vulgaire droguée, tout en tremblant de voir les médecins - que je vais souvent consulter en urgence pour qu’ils me soulagent par des injections lors des crises de douleurs trop aigües – et qu’ils puissent imaginer que je ne suis qu’une junkie qui aurait trouvé le bon filon pour avoir des shoots supplémentaires…

Au milieu de toutes ces horreurs, j’ai la chance déterminante d’avoir ma famille proche et quelques ami(e)s solides qui me soutiennent et m’aident énormément, j’ai la chance d’avoir un compagnon exceptionnel, qui non seulement me comprend sans même que je parle, mais en plus veille sur moi, m’aide à traverser les crises de douleurs, même celles qui durent des heures en pleine nuit, me surprotège pour ne pas me voir souffrir, et me connait même mieux que je ne me connais, assume tout ce que je ne peux plus faire, et sans jamais jamais se plaindre. Ensemble, contre toute attente et toute logique médicale, nous avons eu le plus exceptionnel des enfants. Cet entourage, mon « armure » et ma « béquille » me donne la force de me battre.

J’ai amplement conscience de la chance que j’ai, et je sais que la plupart des Endogirls n’ont pas tout ça. Comment font-elles ?…

Je suis révoltée, épuisée, abasourdie et furieuse de voir l’ampleur de l’ignorance et de l’omerta dont nous sommes victimes. C’est pourquoi Lilli H est née.

Je ne suis pas seule dans ce combat, nous sommes quelques personnes actives, et nous avons sur Facebook plus de 370 fans qui nous suivent régulièrement.

Nous voulons que notre cause soit entendue, qu’on nous respecte, qu’on nous soigne avec sérieux et dans le but de nous voir guérir, pas dans celui d’enrichir de gras actionnaires de laboratoires pharmaceutiques, et nous voulons être reconnues et avoir accès aux mêmes droits et aux mêmes aides que les autres personnes souffrant de pathologies lourdes.

Pour cela nous avons besoin des médias car eux seuls ont le pouvoir d’informer et la réelle possibilité de dénoncer les cas comme les nôtres. Ils sont notre plus important allié. Et ce combat ne peut pas se mener sans eux, sans vous.

Vous avez ouvert une brèche inattendue et exceptionnelle avec votre article.

Aux noms des 176 millions de femmes touchées par lendométriose dans le monde, je vous remercie et vous supplie de nous aider et de vous engager dans ce combat à nos côtés. Si vous, rédaction de Marie-Claire le faites, alors je sais que nous avons de grandes chances den sortir gagnantes.

Cordialement et admirativement,

Lilli H. et toutes les autres.

Le 7 mai 2012.

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