Valérie LC

  • Année du témoignage : 2011

Ma vie n’est plus la mienne. Elle ne m’appartient plus. Elle a disparu avec ce qui restait de cette femme… celle qui était en moi. Elle s’est envolée avec la maladie. Cette maladie que je déteste, que je hais au plus haut point, qui me fait souffrir chaque jour de mon existence et ce, sans aucune exception. Je travaille chaque jour pour réussir à mener une vie normale. Je m’efforce de faire en sorte que les filles, les femmes, les mères sachent que cette maladie existe et qu’elle n’est pas une invention pour prendre congé, éviter un rapport sexuel ou tout simplement pour ne pas aller à l’école aujourd’hui. Je me bats pour que les gens autour de moi cessent de me prendre en pitié, cessent de croire que je feins la maladie, cessent de me traiter de folle. Et pour moi, ça commence par raconter mon histoire, l’histoire de la femme que j’étais, l’histoire de bien des femmes, qui, malgré elles, n’en sont plus vraiment une.

J’ai toujours voulu avoir des enfants. Toujours. Je jouais à la poupée comme nous toutes, ou presque. Lorsque est venu le jour, lorsque nous avions ramassé un peu de sous, prévu l’impossible, lorsque nous avions vécu ce que nous avions à vivre, nous avons cessé de nous protéger, mon mari et moi. Si seulement j’avais su que l’argent, les imprévus et tout le reste n’étaient rien comparé ce qui m’attendait, évidemment, j’aurais commencé le travail plus tôt.

Après de multiples tentatives, j’ai commencé à me poser des questions. Puis, mois après mois, toujours sans bébé, les douleurs ont commencé à apparaître. Tantôt comme une masse qui me martèle les reins, tantôt comme des aiguilles qui picotent mon bas ventre et tantôt comme un évanouissement soudain suite à une crampe que mon corps avait décidé de ne pas gérer. Aux urgences, on me bourrait de laxatifs, me disant que je souffrais de constipation et d’une mauvaise alimentation. On répétait les examens gynécologiques, les tests sanguins, les échographies, sans jamais rien trouver. On me disait :

‘’C’est dans ta tête! Essaie de relaxer…’’

Mon employeur n’était aucunement compréhensif face à mes absences répétées, qu’elles soient justifiées ou non. Mes proches y allaient de commentaires blessants, bref, les gens autour de moi m’abandonnaient, ne me croyaient plus. Ils m’ignoraient, comme ils ignoraient ma maladie.

Un jour, ayant tout d’abord fait la liste de mes symptômes, je me suis aventurée sur le net.  Si personne ne pouvait m’aider, pourrais-je trouver moi-même? J’y ai passé plusieurs heures et le nom d’une maladie revenait sans cesse : endométriose. Au début, j’arrivais à peine à le prononcer, ni à m’en souvenir. Aujourd’hui, ce nom fait partie de mon quotidien. Je l’appelle affectueusement, mon ‘’endo’’ parce que même si je le déteste chaque jour un peu plus que la veille, il fait partie de moi et que, faute d’un traitement qui fonctionne, j’ai appris à l’accepter.

Je me considère extrêmement chanceuse dans ma malchance. Je suis tombée rapidement sur une femme spécialiste qui a bien voulu aller vérifier l’état de mon ventre. J’ai eu ma première chirurgie il y a environ 5 ans et je remercie Mme Noëlle de m’avoir aidée à mettre un nom sur mon enfer. J’avais raison. J’avais de l’endométriose stade 4 avec adhérences et masses aux intestins, à la vessie, aux membres inférieurs et tout le long de la colonne vertébrale. Mes symptômes parlaient d’eux même : crampes menstruelles démesurées, saignements excessifs, infertilité et j’en passe. Une question me hante encore aujourd’hui :

Pourquoi diable est-ce qu’aucun des médecins consultés n’avait été capable de m’orienter?

Pourquoi? Pourquoi cette année d’enfer à chercher par moi-même la cause de mon mal? Je ne suis pas médecin! Je ne connais rien en gynécologie. Pourquoi? J’espère seulement qu’une partie de la réponse réside dans le fait que ces médecins, ces spécialistes, ces urgentistes n’étaient tout simplement pas au courant qu’une telle maladie existait. Nous ne pouvons pas tout connaître. Je peux comprendre cela. Et je prie pour qu’une partie de la réponse ne réside pas dans le fait qu’ils ne voulaient tout simplement pas me croire. Qu’ils aient vraiment pensé que je pouvais m’auto-affliger une telle douleur.

Voilà le but de ce témoignage! Faites le circuler, faites-le courir à travers vos contacts, vos amis, vos tantes, vos sœurs, vos filles… C’est important, c’est même crucial car l’endométriose n’affecte pas seulement votre corps mais votre esprit. En plus de vous donner une incapacité quotidienne, des douleurs vertigineuses, de la fatigue constante, l’infertilité et d’autres maladies connexes comme la fibromyalgie dont je souffre aussi, l’endométriose entraîne souvent  la dépression et parfois le suicide. Imaginez une seconde ne plus pouvoir avoir un travail, ne plus pouvoir faire de simples tâches comme faire le lavage, le ménage, faire de l’exercice, magasiner, avoir à compter sur des narcotiques pour pouvoir fonctionner, ne plus pouvoir avoir de relation sexuelles sans en payer le prix.

Imaginez-vous une telle vie? C’est la mienne, chaque jour depuis 6 ans.

Seules les femmes atteintes de la maladie peuvent comprendre ce dont je parle. Pour les autres, ce sont des informations et de la tristesse sur papier. Chaque fois que je parle à une autre personne atteinte elle me dit : ‘’C’est bien de savoir que tu me comprends’’. Car même les gens qui partagent notre quotidien n’ont aucune idée de la douleur, du sentiment de n’être plus rien, de l’impression que la médecine nous abandonne, que la vie nous abandonne… Une des parties les plus difficiles de la maladie réside justement dans ce sentiment d’incompréhension.

L’endométriose est une maladie complexe. Pour ceux et celles qui voudraient savoir comment elle affecte le système de la femme, je vous invite à faire une recherche sur le web. Pour ceux qui désirent une verbalisation, voici : Le corps de la femme qui fonctionne normalement évacue les saignements menstruels chaque mois. La femme  souffrant d’endométriose produit des masses et des adhérences à l’intérieur comme à l’extérieur de l’utérus ce qui produit des hémorragies internes que le corps ne peut évacuer. Les masses et les adhérences (souvent appeler les fils d’araignée) peuvent aussi se propager dans les intestins, la vessie, bref sur tout organe interne. Imaginez, la cage thoracique d’une femme s’ouvre sur tout son corps et devient alors un canevas vierge pour une maladie agressive. Seule l’absence de tout cycle hormonal peut faire cesser l’endométriose et parfois même, cela peut continuer. Le corps entretenant les adhérences déjà en place. Là, réside une partie de toute l’incompréhension de l’entourage. Ils disent :

‘’Fais tout retirer alors!’’

Ce n’est pas si simple. La décision vient avec ce que je pourrais appeler, un deuil. Le deuil d’une vie de femme…

Pour combien de temps encore aurai-je à endurer ce calvaire? Nulle ne sait car l’endométriose revient toujours… elle est incurable. Évidemment il y a des traitements, souvent coûteux, parfois efficaces, parfois non. Dans mon cas, ils ont tous échoués. Sauf celui que je redoute, qui marchera peut-être et que je me force à considérer chaque jour un peu plus…

La vie m’a donnée de beaux cadeaux : deux beaux enfants. Jamais je n’aurais pensé pouvoir faire mentir les statistiques et mettre au monde un bébé. Pourtant, je l’ai fait et chaque jour je regarde la petite étoile dans leurs yeux avec reconnaissance, tout en sachant que cette étoile est celle du miracle. Avais-je des chances de tomber enceinte? Oui. Étaient-elles bonnes? Du tout, étant donné la sévérité de mon cas. Alors je me dis que je dois être une bonne personne ou alors quelqu’un en haut avait décidé de m’envoyer non pas un, mais deux cadeaux pour tout le temps passé à souffrir. Pour cette vie un peu, beaucoup, éraflée par la maladie.

Je mentirais si je disais que je ne veux plus d’enfants. Évidemment, je me considère chanceuse et là ou certains diraient qu’il s’agit d’acharnement, d’autres diraient qu’il s’agit d’amour. Un amour fort et pur que je me dois de transmettre à mes enfants. Je voudrais avoir un autre bébé. Un dernier. Que je cajolerais, que je minoucherais, que je gâterais à volonté tout en sachant que ce serait pour la dernière fois, mais de mon désir, la maladie s’en fout… elle demande toute autre chose.

Qu’est ce qui fait de vous une femme ? Vos seins? Vos hanches? Vos chromosomes ou tout simplement le fait de pouvoir concevoir?  Les médecins veulent me retirer le tout : mon utérus, mes ovaires, mes trompes, mon col… tout. Non seulement je serai ménopausée à 28 ans (bouffées de chaleur, ostéoporose, doses d’hormones, risques de cancer, risques de maladies cardiaques accrues…) mais je devrais dire adieu à mon rêve. J’ai toujours voulu avoir des enfants, une famille nombreuse. Peut-être parce que je suis enfant unique et que toute jeune, la présence d’un frère ou d’une sœur me manquait. Ou alors c’était mon destin, mon chemin. Mais la maladie dont je souffre m’en empêche et à 11 ans, la première fois que j’ai mouillé ma culotte de sang, l’endométriose en avait décidé autrement.

Je n’arrive pas à me faire à cette idée. Ne pas pouvoir décider du chemin que prendra sa vie, ne pas pouvoir faire un geste aussi noble que de donner la vie. La colère que je ressens, la rage qui m’habite, je ne pourrais même pas vous la décrire. Il y a le mal, puis, il y a la colère. Elle surpasse tout et Dieu sait à quel point je souffre!

Alors voilà. C’est mon histoire et c’est aussi celle de presque 10 à 15% des femmes. Certaines d’entre elles souffrent, d’autres non car l’endométriose peut aussi être asymptomatique. Mais la maladie cause tôt ou tard des problèmes puisqu’elle engendre trop souvent l’infertilité. Elle est d’ailleurs la principale cause d’infertilité chez la femme. Et pourtant… en avez-vous déjà entendu parler? Saviez vous ce qu’était cette maladie sinon par le biais d’une amie, d’une connaissance, d’une cousine qui en était atteinte…? L’endométriose peut atteindre les femmes aussi jeunes que 11 ans. Dès l’apparition des premières règles, elles sont à risques. N’ignorez jamais et ne banalisez jamais les douleurs menstruelles de vos filles. Si elles en souffrent plus que d’autres, demandez à voir un spécialiste surtout si l’endométriose fait partie de vos historiques familiaux. Car plus vite on sait, mieux on vivra avec la maladie.

Certains diront que je cherche la pitié, l’attention… j’ai mieux à faire, croyez-moi! Certains diront que j’essaie de faire avancer la cause des femmes atteintes de cette maladie. C’est plutôt le travail de toutes et chacune. Ce que je voudrais que les gens disent c’est plutôt : elle est courageuse et peut-être que grâce à elle, un jour, on trouvera une solution, un traitement qui guérira les femmes de ce monde.

Je me bats chaque jour pour m’occuper de mes enfants, pour les habiller, les baigner, leur assurer un avenir, c’est mon but, mon combat. Puis je me bat aussi pour mon autre bébé, celui dont je n’ai pas voulu mais qui vit en moi chaque jour, je me bats pour que mon endométriose disparaisse de mon corps, de ma tête. Et je me bats aussi pour que chaque personne à qui je parle connaisse la maladie et ses enjeux. Je me bats pour que vous toutes, qui ont le pouvoir de parler, de vous exprimer, vous racontiez votre histoire haut et fort, que les médecins, les spécialistes, les journalistes puissent nous aider à faciliter le diagnostic de la maladie et ses traitements. Que nous ayons toutes accès à une meilleure gestion de la douleur et qui sait, à des cliniques spécialisées remplies de médecins compétents. Et finalement, plus que tout, je me bats pour éviter qu’une seule fois de plus quelqu’un ose nous dire;

 ‘’Tout ça, c’est dans votre tête’’.

 Un mot tout à mon mari, mon amour, mon roc : Chaque jour ta force, ton positivisme, m’aident à me relever. Sans toi je retournerais poussière à jamais. Et une demande de pardon a ma fille, Clara. Tu es toute jeune mais tôt ou tard tu connaîtras la douleur d’être une femme. Que tu sois atteinte de ma maladie ou non, le don de pouvoir repeupler le monde vient avec un prix. Je prie chaque jour pour que ton destin diffère du mien.